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Comment Elizabeth II a donné naissance à un monstre

👉 (et non, ce n'est pas Charles III)

🔎 Hello, contrairement à ce que le titre indique, on vous emmène cette semaine dans les coulisses de l’industrie automobile pour découvrir un 4×4 monstrueux : le Grenadier Ineos.

👉 Où l’on apprend qu’il y a quand même un lien avec le titre.

🧨 Au programme : 1 414 mots pour 6 minutes de lecture.

Enjoy ! David.

👀 Comment Elizabeth II a donné naissance à un monstre

L’histoire tient du succès industriel imaginé par Jim Ratcliffe, patron du groupe pétrochimique Ineos. Plus grosse fortune britannique, il aime les gros 4x4 rustiques, comme le Land Rover Defender.

Modèle préféré d’Elizabeth II, celui-ci est désormais classé dans la catégorie « haut de gamme » et a perdu de sa rusticité. Ratcliffe - anobli par la queen en 2018 - décide alors de fabriquer son propre modèle, « dépouillé, utilitaire, travailleur ».

Ratcliffe met 1,5 milliard d’euros sur la table, rachète à Mercedes son usine d’Hambach (Moselle) où le géant allemand fabriquait les micro-citadines de sa marque Smart. Et sur ce site qui va employer 2.000 personnes, il va faire fabriquer un sacré bestiau made in France : le Grenadier.

Avec ses 4,90 mètres de long, 1,93 mètre de large, plus de 2 mètres de haut, 14 L/100km, 336 grammes de CO2/km, difficile de ne pas le qualifier d’« aberration écologique », comme dans cette longue enquête du Monde.

👉 J’ai demandé à des spécialistes : Laurent Perron et Michael Oualid, tous les deux experts en mobilités et industrie automobile, de m’expliquer pourquoi et comment en 2023 on pouvait lancer un tel engin.

Un Giga 4×4 pour une micro-niche

Un modèle d’Ineos Grenadier sur la route du Tour de France pour transporter les vélos de l’équipe du même nom. // Crédits : GettyImages

Laurent Perron : « Il faut avoir deux chiffres en tête : le marché mondial, c’est 80 millions de voitures vendues chaque année, et le Toyota Land Cruiser, le leader du segment des gros 4x4, en vend 400.000 par an. Ineos annonce 15.000 ventes par an. Cela permet de relativiser les ambitions d’Ineos et la part de marché que cela peut représenter. S’ils vendent quelques centaines de voitures par an en France, ça sera déjà une “bonne” performance. »

Michael Oualid : « S’ils en vendent 2.000, c’est déjà bien. Vendre 15.000 voitures par an comme ils l’annoncent, c’est beaucoup pour une start-up. Il faut se méfier de toutes ces annonces, cela peut faire partie d’une communication à destination des investisseurs. »

Son impact climatique ? « Que dalle » !

À Berlin, certaines zones appelées « zone environnementale [Umwelt] » sont interdites à certains modèles diesel. // Crédits : GettyImages

Laurent Perron : « Vu du climat, les émissions de CO2 de ces quelques milliers de voitures vont peser peu de choses. C’est plus une question d’équité, de justice sociale et d’exemplarité. D’un côté, on empêche des personnes dépendantes à la voiture et qui n’ont pas les moyens d’en changer, de prendre leurs voitures diesel pour venir en centre ville et de l’autre côté, on a des voitures qui rejettent 300 ou 400 grammes de CO2 au km. Il faudrait une logique différente : se dire que cet objet tellement polluant doit subir un malus très important ( 300 ou 400 %, c’est-à-dire 100 à 200 000 euros de malus ) et flécher cet argent pour aider à financer une voiture électrique pour ceux à qui c’est indispensable. Là, ça m’irait. »

Michael Oualid : « Le Grenadier ne va pas sauver la planète c’est sûr. Mais ce n’est pas lui le vrai problème. Au contraire même. Si un constructeur classique faisait des voitures comme le Grenadier, en se concentrant sur leurs fonctions, elles seraient beaucoup moins chères et moins gourmandes.

Le vrai problème c’est la stratégie de vente du produit.

Les constructeurs peuvent dépenser jusqu’à un milliard d’euros pour développer un nouveau modèle, mais dans une logique qui n’est pas la bonne. Une logique dans laquelle ils sont coincés et nous aussi.

Et ils dépensent en moyenne 1500 euros de pub par voiture vendue pour nous fourguer un véhicule qui n’a qu’un seul objectif : perpétuer un système industriel et non sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes. »

« Une rébellion contre le discours climatique »

Des activistes du climat en manifestation à Londres en avril dernier. // Cédits : GettyImages

Laurent Perron : « Ce n’est pas impossible. Quand on a les moyens de se payer ce genre de voitures, on a très certainement le niveau d’information suffisant pour savoir que ce n’est pas bien pour la planète. Ça peut être une forme de rébellion contre les politiques climatiques. »

Michael Oualid : « Je ne pense pas. Le Grenadier reste d’abord un outil. J’avais travaillé sur le Porsche Cayenne quand il est sorti et qu’il était alors seul dans sa catégorie. Les gens capables de se le payer cherchaient avant tout un break très complet. Sauf que, quand vous ou moi, on peut mettre 10 ou 20.000 euros dans une voiture, eux ils pouvaient en mettre 200 000. Ça ne va pas plus loin. »

« Si on fabriquait les vêtements comme les voitures, on pourrait pas les porter »

Le SUV de Tesla, le « Model Y », un monstre électrique de près de 2 tonnes. // GettyImages

Laurent Perron : « Les solutions sont connues : report modal fort de la voiture vers des modes bas carbone, augmenter l’offre des transports en commun, réduction des kilomètres parcourus, et pour les voitures restantes, des voitures plus petites, plus légères, électriques et avec une autonomie qui correspond au besoin.

Aujourd’hui, il y a des signaux contradictoires. L’interdiction des voitures thermiques pour 2035 est une bonne décision. Que la majorité des constructeurs passent à une gamme 100% électrique, c’est bien aussi. Mais cela ne va pas assez vite.

Nous sommes sur le bon chemin mais pas sur la bonne pente. »

Michael Oualid : « Je suis d’accord avec Sandrine Rousseau pour interdire les SUV. Mais pas avec l’idée que c’est l'automobile le problème. Celle-ci reste le meilleur compromis pour se déplacer. Le problème, c’est qu’avec les avancées technologiques, les voitures auraient dû s’alléger. Or elles font toutes 200 à 300 kilos de trop parce qu’on a ajouté des câbles dans tous les sens, des trucs en plastique, des options, des détails… Ça n’a rien à voir avec des questions d’homologation.

Si on fabriquait des fringues comme les voitures, on ne pourrait pas les porter. Le SUV est le symbole parfait d’une industrie qui reproduit le même schéma. Si on enlevait ces 300 kilos aux voitures, elles consommeraient deux fois moins. Rien que ça. »

Elle s’adresse à qui cette « voiture » alors ?

Un modèle d’Ineos Grenadier dans son élément naturel : en pleine montagne. // Crédits : GettyImages

Laurent Perron : « Il y a un marché pour ce type de véhicules. D’abord, il y a des endroits dans le monde, en Afrique, en Asie, où il n’y a pas forcément de route et là, elle est utile. Ensuite, il y a des usages qui nécessitent d’avoir des voitures à forte capacité de franchissement. Et là je pense à EDF, à l’ONF, aux pompiers… Enfin, il y a évidemment une clientèle privée qui veut se distinguer, et posséder quelque chose qu’on ne voit nulle part ailleurs. Quoiqu’on en pense, la voiture reste un objet de statut social. »

Michael Oualid : « La Grenadier s’adresse à des personnes qui cherchent une voiture solide et qui voient comment elle est fabriquée. On voit que le design est très important dans sa conception. Elle permet d’avoir des repères et de savoir ce qu’on a acheté. Ce n’est pas anodin. Cette logique d’avoir une fonction visible devait s’appliquer aux autres voitures. Ce n’est pas le cas. Il faut revenir à la notion de produit. Cela ne veut pas dire fabriquer que des utilitaires mais faire preuve de bon sens : une voiture solide, durable, où l’on proscrit l’obsolescence programmée. »

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