Khaby Lame, le Charlie Chaplin de TikTok

👀 Khaby Lame, le Charlie Chaplin de TikTok

Fin septembre, défilé Hugo Boss, Fashion Week de Milan. Un jeune modèle défile ; vêtu d’un large blouson, d’un pull gris, il porte des gants et un sac. Son pas et son allure ne sont peut-être pas aussi assurés que les autres mannequins, mais il ne dépareille pas. L’année précédente, à ce rendez-vous incontournable de la mode, le même garçon était habillé tout en blanc. Et l’année encore avant, il n’était pas au défilé Boss mais chez lui à faire des vidéos dans l’appartement de ses parents.

Ce mannequin, vous avez forcément vu son visage et ses vidéos sur TikTok et Instagram, c’est Khaby Lame. Et entre-temps, il est devenu l’égérie d’Hugo Boss qui lui a signé un contrat pluriannuel. Cette marque n’est pas la seule à s’être offert son visage, ses grands yeux expressifs et son audience démesurée.

Comment un jeune ouvrier au chômage a-t-il réussi à devenir en trois ans le créateur le plus suivi dans le monde sur TikTok avec 162 millions d’abonnés ? Comment est-il parvenu à devenir le Charlie Chaplin de l’ère numérique ?

C’est ce que je vais vous expliquer.

1. Un conte de fées organique

Pourquoi lui et pas un autre ? Déjà parce que son histoire sublime la mythologie de l’ascension sociale version numérique. Né au Sénégal il y a 24 ans, Khabane Lame arrive en Italie avec ses parents à l’âge d’un an. La famille s’installe dans un logement social près de Turin dans le nord-ouest du pays.

À 20 ans, jeune ouvrier, il travaille sur une machine-outil. Mais avec le Covid, il perd son emploi. Le voilà obligé de retourner vivre chez ses parents. Avec un père qui le pousse à chercher un autre job. Khabane a une autre idée en tête. Il passe des heures à regarder sur TikTok des vidéos qu’on appelle « life hack » où des internautes tentent de résoudre simplement des choses compliquées de la vie quotidienne. Quitte souvent à rendre compliquées des choses simples.

Et c’est là où Khaby Lame entre en scène. Lui va se faire un malin plaisir de détourner ces prétendues astuces dans des vidéos sans parole. Dans sa vidéo la plus vue, par exemple, un internaute découpe une banane avec un hachoir. Autant dire qu’il ne reste pas grand-chose du fruit après une telle opération. Khaby Lame reprend la vidéo et se filme à la fin en train de simplement éplucher une banane. Et à la fin, un geste de la main et une dénégation de la tête qui vont être sa signature de fin de vidéo. Le tout sans dire un mot.

Khaby Lame passe dès lors des heures chez lui à publier ces vidéos, depuis sa chambre. Il n’a pas rejoint de team de créateurs, il s’est construit en dehors de tout réseau, il n’a pas acheté d’audience… Une ascension purement organique, comme on n’en voit rarement.

Et ça marche. Très fort et très vite. En avril 2021, il devient la personnalité de TikTok la plus suivie d’Italie avec 65 millions de followers. En juin 2022, il est la personnalité de TikTok la plus suivie au monde. Et à ce jour, il approche des 162 millions d’abonnées. Ses vidéos sont likées par Mark Zuckerberg, il fait des sketchs avec Matt Damon, Robert Downey Jr (les deux pour la promo du film Oppenheimer), Tom Cruise… Tout ça donc avec des vidéos de moins de deux minutes sans parole.

Mais alors qu’est-ce qu’il a plus que les autres ?

2. La circulation parfaite du mème

Ce que Khaby Lame a réussi à faire, c’est à devenir le premier clown mondial de l’ère numérique, le Charlie Chaplin de TikTok. L’analogie ne vaut pas seulement parce que ses sketchs sont muets et que notre rire est provoqué par son visage et ses expressions. Moi j’ai trouvé 5 raisons pour expliquer ce phénomène :

• → Son humour est universel. Il est installé en Italie. Peu importe, il pourrait fabriquer ses vidéos depuis la France, les États-Unis ou l’Argentine, le résultat serait le même. Et l’impact aussi.

• → Son contenu se moque des travers produits par les réseaux sociaux. Rire de ses vidéos, c’est savoir que nous ne sommes pas dupes de tout ce qui s’y joue, de nous-mêmes.

• → C’est un mec normal, il représente une forme d’authenticité, un peu la meilleure version de nous-mêmes, et il est dès lors plus facile de s’identifier à lui. C’est sûrement aussi une des raisons pour lesquelles on lui pardonne (ou on ne veut pas voir) des tentatives d’humour beaucoup moins réussies qui pourraient lui valoir des polémiques dont les réseaux sociaux ont le secret. Mais pas lui.

• → C’est quelqu’un qui réussit hors de tout réseau, à partir de pas grand-chose (notamment un téléphone pourri et un éclairage qui l’était tout autant), et ça, ça nous rassure. Ça nous permet de croire que c’est encore possible.

• → Ce que Khaby Lame a réussi enfin, c’est une mèmisation absolue : il prend une vidéo qui est souvent déjà un mème, il la transforme et en refait une autre source de mèmes. L’économie circulaire numérique parfaite.

Bon et après, il en fait quoi de tout ça ?

3. Un bon fonds de commerce

Forcément, une telle ascension attire les marques et les annonceurs. Et quand toute son image repose sur sa simplicité, sa sincérité, ses bons choix. Pas étonnant donc au début de son succès de le voir s’associer au fabricant de pâtes italien Barilla.

Depuis, on le voit beaucoup, chez Hugo Boss donc ou comme jury dans Italia’s Got Talent. Cette année, un de ses meilleurs coups a été d’avoir son avatar dans Fortnite, le jeu vidéo en ligne à plus de 230 millions de joueurs par mois.

Aujourd’hui, il est en position de force pour décider avec qui il veut travailler ou pas.

Selon le magazine Forbes, il touche 750 000 dollars pour présenter un produit dans un post TikTok et Instagram. Est-ce que ça les vaut ? La compagnie d’assurances américaine State Farm s’est associé à Khaby Lame pour une campagne au moment du Super Bowl.

→ Résultat : les vidéos TikTok avec Khaby Lame ont été vues 220 millions de fois.
→ Rappel : l’audience du Super Bowl cette année était de 115 millions de spectateurs.

Épilogue ?

On pourrait terminer en parlant de ses envies de cinéma. Notamment son court-métrage « I Am Khabane » qui raconte sa propre histoire et qui est un appel du pied à l’industrie cinématographique.

On finira plutôt ce portrait en rappelant qu’il a réussi à avoir la nationalité italienne seulement l’an dernier. Lui, le supporter de la Juventus de Turin. Ne pas être né en Italie lui rendait cette tâche compliquée, peu importe qu’il y ait passé toute sa vie. Finalement, c’est le ministre de l’Intérieur qui lui a notifié sa nouvelle citoyenneté.

Et là, nous avons pu voir un autre visage de Khabane Lame.

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