La guerre Pepsi-Coca à l'heure de l'IA

👀 La guerre Pepsi-Coca à l’heure de l’IA

Le monde est ainsi fait qu’on ne connaît pas beaucoup de seconds qui ne veulent pas devenir premiers et de premiers qui ne font pas tout pour le rester. Celles et ceux qui courent après la première place trouveront toujours une métrique où ils devancent leur rival. Histoire de lui rappeler qu’il sent toujours son souffle sur sa nuque.

C’est toute l’histoire de la rivalité centenaire entre Coca Cola et Pepsi. Opérations de communication, publicités comparatives... cette rivalité est mise en scène, elle s’étale sur la place publique, visible et fait l’objet de récits très documentés.

Et comme dans toutes batailles, il y a des coups qui se voient moins. Mais ce sont eux qui font basculer les matchs vers les victoires — ou les défaites.

En ce moment, le dernier épisode de la guerre des colas - un marché à 360 milliards de dollars quand même - se déroule sur le terrain que le monde entier scrute avec excitation ou angoisse : l’intelligence artificielle.

Avant d’en arriver là, on va prendre le temps de remettre les choses dans l’ordre, pour démêler ce qui relève du paraître et du reste, peut-être encore plus important.

Épisode 1 : Innover…

Quand on s’appelle Pepsi, qu’on est né après Coca et qu’on lui court après sans avoir les mêmes moyens, il faut innover sans cesse, trouver la martingale : technologique, juridique, ou industrielle…

Au bout de 130 années d’existence, on peut dire que Pepsi a développé un savoir-faire pour ouvrir de nouvelles brèches.

Nous sommes à la fin du 19ème siècle (oui, oui), et à l’époque, pour boire un soda, il n’y a pas de bouteille déjà prête, il faut aller à une fontaine à soda, où l’on mélange le concentré de sirop avec de l’eau pétillante dans son verre. A cette époque, le système se fait à la main, l’embouteillage existe mais il peut se révéler dangereux.

C’est là où Pepsi repère de nouvelles machines à embouteiller, plus hygiéniques et moins dangereuses. Et décide alors de vendre son concentré à des « embouteilleurs » qui n’ont plus qu’à vendre des bouteilles prêtes à être emportées. C’est une révolution industrielle à l’échelle du soda.

Avec ses énormes moyens, Coca va évidemment surenchérir en utilisant les mêmes principes mais l’adaptant à un nouveau modèle de distribution : le système de franchises implantées partout sur le territoire.

Raté pour cette fois. Mais l’innovation est clairement identifiée comme un terrain de jeu intéressant.

Épisode 2 : Surprendre…

Autre moyen classique, l’ambush marketing : être là où son rival ne vous attend pas. Pepsi a utilisé à merveille la publicité pour bousculer Coca. Dans l’entre-deux-guerres, Pepsi avait déjà été à l’origine du premier jingle publicitaire que toutes les radios américaines ont diffusé en boucle, parfois sans préciser qu’il s’agissait d’une pub. Et comme la petite musique restait bien en tête, Pepsi aussi.

Le coup de génie auquel Coca ne s’attendait pas arrive avec le Pepsi Challenge en 1975 : un test à l’aveugle proposant à des quidams de goûter deux sodas et de dire celui qu’ils préfèrent. Et là, surprise, à la première gorgée, ils désignent majoritairement Pepsi.

Ce petit manège va circuler dans tous les Etats-Unis et durer huit ans. Huit années durant lesquelles Coca ne va pas trouver la parade. Huit ans à se faire chambrer sans arrêt, c’est long.

Bon, Coca va finir par comprendre que si les gens préfèrent la première gorgée de Pepsi, c’est juste parce que le goût est plus sucré. Car si les testeurs boivent toute la canette, ils désignent alors plutôt Coca.

Mais le mal est fait.

Épisode 3 : Devancer…

Entrons dans les coulisses et scrutons désormais l’histoire en train de se faire.

Le grand sujet du moment, c’est l’intelligence artificielle, personne n’y échappe. Et c’est un domaine dans lequel Pepsi a investi depuis bien longtemps, comme le raconte Axios. Sans faire de bruit. Elle utilise ainsi l’intelligence artificielle non générative depuis des années sans qu’on le sache forcément.

Et dans deux buts bien précis : la logistique de distribution et les réponses aux attentes des clients. Pour parvenir à ses fins, Pepsi a ainsi mis sur la table des centaines de millions de dollars en développement. Et ça valait le coup.

Concrètement, ça donne quoi ? Il s’agit surtout d’adapter l’offre à la demande, de manière très fine. Et en temps réel… Ainsi les « algorithmes Pepsi » déterminent quels magasins vendent le plus, et quel type de produits, pour écouler au mieux les stocks, analyser les ventes et optimiser l'emplacement et la visibilité des bouteilles de soda et autres. L’idée est d’avoir le moins de magasins possibles où les produits ne sont plus disponibles, et où à l’inverse le moins de magasins où il y a trop de stocks. La recherche du bon dosage.

L’AI est également utilisée pour améliorer la sécurité dans les entrepôts.

Autre usage : elle aide à créer de nouvelles lignes de produits et d’arômes. En revanche, la marque s’est interdit de l’utiliser pour cibler individuellement les consommateurs. Pour le moment. On sait qu’en la matière que cela peut rapidement changer.

Et l’AI générative, celle dont tout le monde parle, ça change quoi ? Pas grand chose pour Pepsi, comme le souligne, Athina Kanioura, responsable de la stratégie et de la transformation de l'entreprise :

Et Coca pendant ce temps-là ? Il fait des claquettes. Le rival de Pepsi a dévoilé récemment une campagne de marketing, en partenariat avec OpenAI — le créateur de ChatGPT, qui permet aux clients d'utiliser des outils d'IA pour produire des images personnalisées. Loin des palettes et des entrepôts donc.

Épisode 4 : Conclure !

L’utilisation des IA n’a pas changé l’ordre établi : Coca reste et restera la boisson numéro un. Et Pepsi, à jamais les deuxièmes, pour rendre hommage à un mantra marseillais. Est-ce si important ? Dans toutes les légendes qu’on nous raconte, il y a beaucoup de coups de bluff et de vent qui ne servent qu’à conquérir un leadership de façade.

Dézoomons un peu. Si on regarde le tableau global, l’entité Pepsico est bien plus diversifiée que Coca-Cola et que son chiffre d’affaires est plus important : 81 milliards de dollars contre 43 milliards en 2022. Mais c’est toujours Coca qui a la meilleure capitalisation boursière et la marque reste un rouleau compresseur dans tout ce qu’elle entreprend. Qu’on la prenne par n’importe quel bout, cette course n’a que peu de sens au fond.

En revanche, ce que l’histoire de l’AI nous montre deux choses :

1/ Où sont les vrais dossiers. Ce que Pepsi a mis en place sans le crier sur les toits est peut-être aussi, voire plus important que la mise en scène de sa rivalité avec Coca. Cela sert l’entreprise en elle-même et des intérêts plus grands que la simple communication, quand on connaît l’impact des gestions de stocks sur nos environnements directs.

2/ On continue de regarder le doigt, pas la lune. Ce qui focalise l’attention médiatique n’est que la partie immergée de l’AI-ceberg à l'œuvre depuis bien longtemps. Et ça n’a rien d’un gadget. Ça révolutionne déjà des process industriels sans qu’on en parle.

Conjuguer les IA au futur, avec leurs lots de promesses, de craintes et faux semblants, c’est intéressant. Mais ce que nous apprend cet épisode de la guerre des colas, c’est que les IA sont déjà parmi nous, qu’elles pèsent déjà lourd dans de nombreux secteurs et que décrypter ce réel permet de réduire le volume de bruit et de fantasmes.

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