On a mal jugé l'Apple Watch

👀 On a mal jugé l’Apple Watch

L’histoire de l’Apple Watch, ce n’est pas seulement celle d’un produit Apple comme un autre. Cette montre raconte aussi la manière dont on regarde et on juge les produits technologiques. Avec une grille de lecture qu’il est temps de renouveler.

Car si on garde en tête les débuts contrastés de l’Apple Watch et son succès mitigé encore aujourd’hui (à l’échelle d’Apple), on regarde trop les choses à court terme. En oubliant la « Big Picture ».

Comme l’Apple Watch va fêter ses dix ans l’an prochain, et que tout le monde s’excite déjà, il était temps de remettre les pendules à l’heure.

C’est ce que je vais tenter de faire.

Une révolution retardée

Commençons peut-être par reprendre l’histoire à ses débuts pour mieux comprendre ce qu’il se joue aujourd’hui. L’Apple Watch est le premier grand lancement de la marque à la pomme après la mort de son gourou, Steve Jobs. La légende veut même que ce soit lui qui ait initié un objet intégrant des fonctions de monitoring médical. Ce sera donc une montre, et elle est imaginée par Jony Ive, le designer attitré de tous les succès de l’entreprise.

La montre est présentée lors d’une conférence à la Steve Jobs, le 9 septembre 2014. « One more thing » et Tim Cook dévoile ce qui selon lui, va constituer le prochain chapitre de l’histoire d’Apple : une montre connectée donc, très belle (merci Jony). Mais c’est à peu près tout.

Très vite, on se moque en trouvant qu’elle est un peu chère juste pour donner l’heure. La magie Apple n’opère pas longtemps : la montre se vend à un million d’exemplaires dans les trois premiers jours et après… C’est le flop. Voilà ce qu’en dit une des premières reviews :

Il faut attendre deux ans pour que les principaux défauts soient corrigés et que de nouvelles fonctionnalités soient ajoutées. Et alors les ventes retrouvent des niveaux dignes d’Apple. Mais ce n’est pas une révolution. Au fil des ans, on ne sait pas toujours trop si c’est une montre pour les accros au sport et à la condition physique, un supplétif de l’iPhone ou juste une belle montre stylée…

Mais pour Apple, le temps n’est pas un problème. L’argent non plus. Le marché n’existe pas ? Inventons-le.

Si vous n’êtes pas la cible, c’est sûrement quelqu’un d’autre

La problématique principale pour n’importe quelle entreprise, ça reste : pour qui est destiné mon produit ? Durant longtemps, on n’a jamais trop su à qui s’adressait l’Apple Watch en dehors de celles et ceux qui pouvaient se la payer. Peut-être qu’Apple non plus au départ ne savait pas trop, mais elle a changé de perspective pour trouver un nouveau paradigme.

→ Question : qui seront mes clients dans un avenir proche ?

→ Réponse : les jeunes adultes de demain. Qui sont donc les enfants d’aujourd’hui.

→ Action : vendons l’Apple Watch aux enfants maintenant.

Depuis deux ou trois ans, les ventes d’Apple Watch aux enfants et aux adolescents, principalement américains, sont en nette augmentation, comme le raconte le New York Times. Évidemment, ce sont les parents qui les achètent pour trois raisons principales :

→ Il n’y a plus besoin d’avoir un iPhone pour avoir une Apple Watch

→ Juste avec la montre, on peut suivre et joindre son enfant à tout moment

→ Et en prime, on peut réduire ou prévenir le risque d’addiction à Internet

Le dernier point n’est pas négligeable. La montre connectée évite de mettre un portable entre les mains des enfants trop tôt. C’est donc moins d’écrans, moins de tentations, moins d’accès aux médias sociaux… Mais quand même des fonctions de base pour un ado (envoyer et recevoir des messages, écouter de la musique,…)

Apple a donc conçu des modèles qui répondent délibérément à ces attentes, moins chers, avec moins de fonctionnalités, des logiciels de tracking en temps réel, de gestions de contacts et de temps pour les parents. Tout ça aussi pour jouer sur ce que j’appelle « le syndrome Caisse d’Epargne ». Qu’est-ce que c’est ? Quand vous êtes adolescents, vos parents vous ouvrent votre premier compte bancaire dans leur banque. Et si ça ne se passe pas trop mal, c’est généralement la banque que vous garderez quand vous devenez adulte avec vos premiers salaires. Et bien là, c’est pareil. Apple espère que les enfants de l’Apple Watch deviendront les adultes de l’iPhone et de l’iMac.

Nos besoins vs nos fantasmes

On va fêter l’an prochain les dix ans de l’Apple Watch. Tous les experts et fans attendent un « One more thing » pour l’occasion, une évolution majeure de cette montre. Or ces derniers temps, plusieurs analystes estiment qu’il ne faudra pas s’attendre à des bouleversements majeurs. Et l’Internet bruisse de déception. Mais est-ce si grave ?

On peut s’interroger sur la manière dont nous jugeons tous les produits technologiques qui nous entourent. On reste le nez rivé sur les conférences, les keynote, les reviews, les tests… On attend que chaque évolution soit une révolution. On voudrait revivre la magie de la révélation de l’iPhone, mais cela reste une exception.

Tout se passe comme si nous ne changions pas entre plusieurs versions d’un même produit, comme si nos attentes étaient toujours les mêmes. Et comme s’il ne se passait rien entre une V1 et une V9 (oui on en est à l’Apple Watch 9). C’est Harry McCracken qui l’explique très bien dans son blog pour Fast Company. Il raconte comment il avait été déçu par les premières versions, comment il avait opté pour une Garmin, et comment il a redécouvert l’Apple Watch bien des années après.

C’est vrai, des mises à jour, des nouveautés, on veut nous en vendre tous les ans. C’est le jeu, Apple en joue et en abuse, même si elle sait que les vrais enjeux sont sur le temps long. Cela en dit long sur notre dépendance à la nouveauté.

Dans un autre article, le même (et toujours juste) Harry McCracken propose d'arrêter d'être obsédé par chaque nouvelle annonce, d’arrêter de chercher la prouesse technique qui change tout. Et il invite juste à se poser la question si telle ou telle fonctionnalité permet d’améliorer la vie sans introduire de nouvelles complications. Bref, il vaudrait mieux que les produits répondent à nos besoins (même si on ne les connaît pas encore) plutôt qu’à nos fantasmes.

Maintenant qu’on a dit tout ça, on comprend aussi qu’il faudra attendre quelques années pour savoir ce qu’on peut penser du Vision Pro, le casque virtuel d’Apple.

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