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Vitality, l'esprit d'équipe et l'art du collectif

👉 Comment ce duo est devenu le Daft Punk de l'esport

🔎 Aujourd’hui, je m’intéresse à la team française d’esport qui en dix ans, s’est imposée sur la scène internationale : Vitality.
👉 Où l’on apprend que pour lever des fonds en France, on est tous logés à la même enseigne.
🧨 Au programme : un récit à deux voix, des anecdotes, 2 180 mots pour 13 minutes de lecture.
Enjoy ! David.

👀 Vitality, l'esprit d'équipe et l'art du collectif

La team Vitality, c’est purement et simplement l’excellence française. En dix ans, elle est devenue une marque incontournable et une des toutes premières équipes d’esport dans le monde, avec à son palmarès un premier Major Counter Strike GO remporté à Paris, devant 12 000 spectateurs.

Pour essayer de comprendre comment ses fondateurs ont construit leur succès, créé une marque hyper puissante dans le monde et un modèle de «scale-up», on a épluché des heures et des heures d’interviews ou de conférences qu’ils ont données*.

On s’est amusé à en faire un récit à deux voix qui raconte tous leurs débuts, leurs galères, leurs espoirs, leurs victoires...

Mais avant, un petit rappel en 5 points pour tous les béotiens et toutes les béotiennes.

1/ Une victoire dans un Major Counter strike GO à Paris, c’est comme si un joueur français de tennis remportait Roland-Garros pour la première fois de l’histoire. On espère pour Vitality que cette analogie ne leur portera pas malchance et qu’ils remporteront d’autres titres majeurs très vite.

2/ Une team d’esport, c’est comme un club de sport mais de jeux vidéo.

3/ Vitality, c’est un peu le PSG. Il existe le PSG handball, le PSG football : là c’est pareil, on gère plusieurs équipes sur des jeux différents. Il y a la team Counter Strike Go, la team League of Legend, Valorant… Ils ont en tout 7 équipes sur jeux, et chacune d’entre elles est composée des meilleurs joueurs de France, d’Europe, voire du monde. (Mais à la différence du PSG, Vitality ne gagne pas qu’en France.)

4/ Comme pour n’importe club de haut niveau, chaque équipe a son coach, son préparateur mental, son manager…

5/ Aux origines et à la tête de Vitality, il y a deux personnalités, Nicolas Maurer et Fabien Devide, dit Neo. Nicolas c’est le directeur, il s’occupe de gérer la boîte et de la développer. Neo, c’est le président et c’est lui qui s’occupe de la stratégie sportive.

Promis, vous n’avez pas besoin de vous y connaître en jeux vidéo pour trouver ça passionnant. Et comme ce sont eux qui en parlent le mieux… Ça commence par une rencontre parce que les histoires de business qui fonctionnent, ça débute souvent comme ça.

Le jour où ils se rencontrent

Neo : « A la fin des années 2000, les jeux vidéo ont déjà pris une place importante dans ma vie. Très vite, je me demande s’il n’y a pas un moyen d’avoir les sensations de la compétition sportive dans le jeu vidéo. Je commence à pratiquer du “joueur contre joueur” et je me rends compte que je suis un peu meilleur que les autres. Mais je ne pensais pas en faire carrière. »

Nicolas : « En 2011, je suis monteur dans une boîte de production et je bosse sur la série Scènes de ménage. Je ne peux pas dire que ça me fait marrer. Mais bon, ça se passe bien. Question jeux vidéo, j’étais juste un joueur de Counter Strike très médiocre. Et un jour, on me présente mon nouvel assistant. C’est Neo.»

Neo : « Tous les lundis, Nicolas me voit arriver complètement explosé. Parce qu’à côté de mon boulot, j’ai mon association qui organise des tournois d’esport et moi, je m’occupe de joueurs de Call of Duty, je les entraîne, je les conseille. Ça commence à décoller et on a des super résultats.

Nicolas : « Je n’y connaissais pas grand-chose. Il me fait venir à des compétitions et j’accroche tout de suite. Au boulot, Neo, c’est le petit stagiaire que personne ne calcule. Mais dans l’esport, c’est déjà une star. Il connaît tout le monde, et tout le monde veut faire des photos avec lui. »

Le jour où ils décident de changer le monde

Nicolas : « Ça peut paraître un petit peu arrogant, mais j’avais envie de monter ma boîte parce que ça ne me plaisait pas trop de bosser avec des gens que je trouvais nuls. Si vous pensez que c’est vous qui avez quelque chose à apprendre à votre patron, vous avez un problème. »

Neo : « Moi je roule ma bosse dans des organisations modestes d’esport. Je vois ce qui se fait. Et je me rends compte que j’apporte davantage aux structures que les structures m’apportent. Tout ce qui se fait n’est pas au niveau. Dès lors, mon obsession, c’est de monter une équipe de pro. »

Nicolas : « La vérité, c’est qu’en 2013, toutes les équipes françaises d’esport ne sont pas gérées de manière professionnelle, il n’y a pas d’argent, c’est très amateur. Il n’y a pas de bons managers, non plus. Neo lui, sait ce qu’il veut. »

Neo : « Les structures d’esport sont alors gérées par des trentenaires. Moi j’en ai 20, j’ai une autre vision des choses, je suis né avec les réseaux sociaux, j’ai une proximité avec le public, j’ai tout de suite envie de quelque chose de communautaire. »

Nicolas : « On crée la boîte avec Gotaga [joueur professionnel de jeux vidéo déjà très connu à l’époque], on trouve le nom et Neo va convaincre d’autres joueurs de rejoindre notre team pour créer notre propre club d’esport. Il y parvient parce que tout le monde sait qu’il est sincère. Et quand on l’annonce lors d’un stream sur Dailymotion, c’est la folie. On a 20 000 viewers, c’est énorme pour l’époque il faut s’en rappeler. »

Le jour où ça commence à frémir

Nicolas : « Au début, on fait tout à l’arrache. Mais déjà, on est complémentaire avec Neo. Lui, il ne s’est jamais intéressé à un chiffre de sa vie. Je ne peux pas dire que j’aime ça, mais il faut le faire alors je me colle à Excel. Il est nul en négociations. Je le suis en social media. Il a 5000 idées à la minute. Moi, moins, mais je sais monter un business. C’est bateau mais on bosse très bien ensemble, et c’est une des raisons de notre succès. Nous n’avons pas d’ego mal placé, ce qui fait qu’on peut se dire des choses et les entendre. »

Neo : « C’est une autre époque où il est tellement difficile de vendre l’esport. Même si on a déjà de très bonnes audiences et des joueurs stars. On va voir des marques et elles ne savent pas du tout ce que c’est. Il faut tout construire de zéro. »

Nicolas : « Et puis, on décroche nos premiers sponsors. On rentre dans les bureaux de sponsors potentiels, on joue les durs en négo et ça marche. On récolte quelques dizaines de milliers d’euros. Mais on ne peut pas dépenser plus que ce qu’on gagne, alors il faut bricoler sans arrêt. On ne peut pas embaucher, on ne se paye pas, on garde nos boulots à côté. C’est une erreur d’ailleurs. Nous aurions dû nous payer plus tôt, nous serions allés plus vite. »

Neo : « Dès notre première année, on devient champion de France à la Paris Games Week. On était la hype du moment, tout le public était pour nous. Pour moi, c’était une confirmation personnelle : c’est ça que je veux faire toute ma vie. »

Le jour où ils changent de division

Nicolas : « Un jour, Gotaga nous annonce qu’il quitte Vitality. Nous avions l’impression que nous étions liés et que Vitality ne pouvait peut-être pas exister sans lui. On était effondrés. Mais là, on reçoit des tonnes de messages de soutien et tous nos sponsors ne nous lâchent pas. On se rend compte qu’on a créé quelque chose, une marque qui va au-delà d’un joueur, aussi important soit-il. Là, on décide qu’on doit aller sur d’autres jeux que Call Of Duty, qu’on doit grossir, avoir de l’ambition… Là, le hasard fait qu’on a l’opportunité de racheter la place de la team Gambit Gaming dans les European League of Legends Championship Series. Ça, ça coûte dans les 400.000 euros. »

Neo : « Moi, je dis “oui oui on a l’argent, pas de problème”. Mais on ne l’a pas l’argent, on fait zéro bénéfice et on a 5000 euros sur le compte. Et la deadline c’est dans un mois. Je ne sais pas comment on a fait, mais on a trouvé le pognon. »

Nicolas : « On a dû aller chercher cet argent en sollicitant tous nos contacts. Si on se plantait, c’était fini. En même temps, on n’avait pas envie d’être moyen, on voulait voir grand. C’est comme ça qu’on a fait notre première levée de fonds. »

Neo : « A un moment, il faut devenir international. Ça doit faire partie de nos objectifs de conquérir l’Europe et le monde. »

Le jour où ils lèvent des fonds

Nicolas : « De l’extérieur, les gens pensent qu’on est 20 mais en fait, on est 3 pour tout faire. Là, on atteint une limite, on ne peut pas faire tous les métiers. Il faut recruter. Et donc lever de l’argent. Nous sommes en 2017. Tout le monde autour de nous à l’étranger est en train de le faire. On prend une boîte de conseils, une grosse erreur. Ils ne nous apportent rien. Ce n’est qu’une question de réseau, c’est nous qui sommes allés chercher les investisseurs. Et c’est dur, on découvre tout. Par exemple, les emails des adresses de contact des fonds d’investissement, ça ne sert à rien, les mecs ne les lisent pas. Il faut trouver le bon contact qui va leur conseiller de nous rencontrer. Après tu passes en comité. On est plutôt bons pour pitcher mais là, on se retrouve face à des personnes de 60 ans qui ne comprennent rien aux jeux vidéo. Tout ça, c’est beaucoup de hauts et de bas d’un point de vue émotionnel. Un jour on te dit que c’est bon, tu te mets à y croire et le lendemain, en fait c’est non. C’est d’une grande violence. »

Neo : « C’est super important de lever des fonds à ce moment de notre existence. Et pour l’esport en général. Car à partir du moment où une équipe comme nous y parvient, ça donne des idées pour d’autres et ça rassure les fonds et les investisseurs. C’est de cette manière qu’on a posé les briques pour inventer notre propre sport. »

Le jour où ils jouent leur vie

Nicolas : « En 2018, il faut qu’on relève des fonds. Riot, [éditeur du jeu “League of Legends”], annonce que le tout nouveau League of Legends Championship [LEC] passe en format franchise. Il y aura 10 franchises. Il faut qu’on soit parmi les 10. Soit on fait partie des plus grandes équipes d’Europe, soit ce n’est pas la peine de continuer. Là, on cherche 20 millions d’euros et on se fait accompagner par une banque d’affaires. Mais notre levée dépend de cette présence en LEC. Sans l’argent, on ne peut pas y aller. Sans y être, on ne peut pas avoir l’argent. Le jour où le gars de Riot me rappelle, j’étais dévasté de stress. S’il me disait non, dans la minute, on perdait nos investisseurs. Et là, il m’annonce tout de suite qu’on est pris. Là, tout le poids des dernières années est retombé d’un coup. »

Le jour où ils comprennent que tout a changé

Nicolas : « C’est le jour où on fait une opération de com’ avec James Harden. Un truc de fou. Adidas est notre sponsor, et quand Harden est de passage à Paris, ils veulent faire une opé’ avec nous. C’est dans ce genre de moments que tu te dis que tu as réussi quelque chose. »

Neo : « Nous ne sommes plus entre nerds, c’est fini. Les joueurs de baskets, les pilotes de Formule 1, les stars de cinéma nous trouvent trop cool. C’est trop cool d’être un gamer, comme c’est trop cool d’être un streamer, d’être un joueur pro. C’est devenu inspirant. »

On savait que ça allait arriver. C’est officiel. L’esport est désormais un sport pro à part entière : ses stars sont invitées dans les médias mainstream et Nicolas Maurer fait partie des finalistes du trophée du Manager sportif 2023 aux côtés d’un certain… Didier Deschamps.

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